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Mercredi 28 Décembre 2016 : dernier mercredi du mois --> jour de loyer.
Je suis triste de dire adieu à mes billets oranges, mais content de les voir partir au chaud dans la poche de Monsieur Jacquin*, le proprio de l'immeuble.
Le lotissement "les Lilas"* possède sa propre personnalité.
Derrière de forts murs de pierre, la cour se pare de grands et majestueux lilas.
J'aime bien le lotissement "les Lilas". Il est bien entretenu. Les locataires qui s'y croisent se connaissent et s'entraident. Le prix des loyers est raisonnable, aligné avec les prix du marché. Dans la moyenne basse, même.
Chaque année, M. Jacquin me dit "Bon ben... Ça n'augmente pas, cette année."
Je sais qu'ici je ne risque rien. Ni cambriolage, ni démarchage intempestif. L'enceinte est close, les murs sont solides. Le chien du concierge monte la garde.Si j'ai un problème quelconque, étagère cassée, prise non fonctionnelle, fuite d'eau, etc, j'en informe le proprio, et ensemble nous trouvons la meilleure solution. Il n'hésite pas à prendre à sa charge si le dégât est dû à l'usure naturelle. Après tout, je suis chez lui, alors le mobilier et les murs sont à lui.
J'aime bien discuter avec le proprio. Chaque fois que je le croise, on parle France, littérature, culture, sciences...
Je l'aime bien, ce M. Jacquin.Il a pas mal vadrouillé, alors il me raconte les pays du Monde. Il n'achète que du made in France, il a l'esprit entreprenant, il essaye sans cesse d'améliorer et de décorer au mieux son lotissement des Lilas. Il a plusieurs enfants et pleins de petits enfants.Je ne suis aucunement jaloux de sa "réussite" ! Tant mieux pour lui !"Pourquoi lui plutôt qu'un autre ?", me demanderez-vous."Pourquoi un autre plutôt que lui ?", répondrai-je. Il a mis dans la cour un calvaire."Ça attire la protection divine", assure-t-il.
Et effectivement, les dangers ne manquent pas.La chaudière connait des ratés et le prix du fuel a bondi.La barrière du parking a été retrouvée disloquée.Un locataire a cassé la serrure de la porte du local à poubelle. Un autre refuse de payer depuis trois mois son loyer. L'étudiant du 3e met la musique trop fort et se bat avec la voisine. Encore un dégât des eaux, le mois dernier !les impôts gouvernementaux sont chaque année plus élevés.Le vent a déraciné le grand pin de l'arrière-cour.
...
À chaque tragédie, M. Jacquin est sur le coup, et le problème est résolu dans la semaine. On pourrait penser que les locataires veulent avoir leur mot à dire sur la gestion des lieux communs, sur les charges, etc, et ont formé une association de locataires...Mais non.Ils voient bien que le boulot est fait, dans les parties communes,ils voient bien que l'environnement est propre, joliment agencé et protégé,et surtout, ils font confiance au proprio.Bien sûr, ils en chient, à payer leur loyer.Mais ils observent - (de leur fenêtre) - que Monsieur Jacquin et sa famille ont à cœur de bien faire les choses, de travailler avec ardeur, de construire un environnement beau, raffiné, original, sanctuarisé et ouvert sur la rue et sur la vie de quartier en même temps !De faire de l'endroit un lieu riant et calme à la fois !
Une fois, j'avais eu du mal à payer mon mois de loyer. Aucunement rigide, Monsieur Jacquin m'avait donné un délais de plusieurs semaines.
"Si ç'avait été une résidence HLM, ça aurait été tout-de-suite une lettre recommandée", m'avait-il dit en souriant.
Justement, l'année dernière, il a reçu la visite des gérants des lotissements d'à coté. "Rejoignez notre consortium ROP - Résidences Offices Propriétés ! Nous sommes en train de monter une union ROPéenne. À plusieurs, nous sommes plus forts !, lui ont-ils dit. Si nous rassemblons nos bénéfices, nous pourrons conduire chaque année des projets ambitieux !"
Il n'a pas réfléchi deux fois. De sa gouaille qu'on lui connait, et pour laquelle on l'aime, il leur a répondu du tac-au-tac :
"Du large, flibustiers ! Fin de non recevoir, point à la ligne !Un partenariat, dites-vous ?Pah ! On va se mettre en table ronde, ce sera cacophonique et inaudible.Enfin, la plus grande gueule, ou le plus fourbe, aura le dernier mot, dans les décision à prendre. Alors non ! Niet ! Nada ! Nichts !Aux Lilas, je suis seul maitre à bord ! Et quand bien même fondre les Lilas dans votre consortium serait financièrement intéressant, je refuserais car il s'agit d'une question de principe.Je préfère garder mon indépendance. Ma souveraineté !"
Les gérants étaient repartis piteusement, la queue entre les jambes.
Parmi les locataires se trouve un moine, qui est en quelques sortes le référent spirituel de l'immeuble. Parlant de M. Jacquin, je lui demandais comment réagir si le propriétaire un jour change, et que le nouveau gère mal les Lilas, de manière dictatoriale, par exemple, ou s'il augmente les loyers, ou s'il n'entretient pas l'environnement.
"Nous ne pourrons pas juger, car nous ne connaitrons pas tous les paramètres. Et puis, seul Dieu juge les gens. Mais si vraiment son action est contraire au bien commun, alors que son ministère soit abrégé, qu'il parte, et qu'il en advienne un autre" ! prononça le moine, en une sinistre sentence en forme moitié de formule, moitié de prière de malédiction.
"Mais comment éviter d'en arriver à telle extrémité ?", avais-je alors exprimé ?
- D'abord, il faut s'assurer, par le maintien du calvaire de la cour, que le nouveau propriétaire fait toujours allégeance à Dieu. Et non à l'argent. Et puis, pour plus de continuité, autant léguer la propriété non pas à n'importe qui, mais à celui dans lequel M. Jacquin se retrouve le plus. Son propre fils, en l’occurrence. Ils ont le même chromosome Y. Il n'y aura jamais tant de M. Jacquin que dans M. Jacquin junior."
...
J'aimerais bien que M. Jacquin soit le gouvernant de mon pays...
*Les noms ont été changés
JRV
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